Les démangeaisons ne sont pas un symptôme anodin, elles sont entraînées par de multiples causes et au-delà de leur effet désagrable qui peut être handicapant au quotidien, elles peuvent être le signe d’une infection sévère. Cette équipe de neuroimmunologistes l’Université de Pennsylvanie en éclairant le processus par lequel un parasite échappe à cette réaction de défense de l'organisme, trace, dans la revue Nature Immunology, de nouvelles pistes pour réduire ce symptôme tout en luttant contre l'infection.
Une démangeaison qui perdure « peut rendre fou » écrivent les chercheurs. L’un des auteurs principaux, Juan Inclan-Rico, neuroimmunologiste au Herbert Lab de la Penn’s School of Veterinary Medicine, explique qu’au-delà d’être un symptôme, une démangeaison persistante, ou prurit, peut en fait être l’une des premières lignes de défense de la peau contre des envahisseurs nuisibles : « la sensation de démangeaison comme celle de douleur, est cruciale pour nous alerter sur certains dangers en particulier lorsqu’il s’agit d’infections cutanées ». C’est le concept de l’immunité sensorielle qui résume le principe plus pratique
« si vous pouvez le ressentir, vous pouvez y réagir ».
Les démangeaisons font ainsi partie des moyens utilisés par le corps pour détecter des menaces telles que les infections cutanées avant qu’elles ne se développent.
Des parasites qui détournent l’immunité sensorielle
L’étude décrypte un mécanisme qui détourne cette protection liée à l’immunité sensorielle : c’est « l’astuce » utilisée par un ver parasite, Schistosoma mansoni, capable de s’infiltrer dans le corps humain en échappant à ce mécanisme de défense et en éliminant donc complètement la réaction de démangeaison. S’il existe des traitements prophylactiques pour les personnes qui sont à risque d’exposition à S. mansoni, la recherche, en décryptant le mécanisme du ver, ouvre la voie à de nouveaux traitements des démangeaisons.
La recherche part du constat que certaines souris sont beaucoup plus sensibles à l’infection par S. mansoni. L’étude s’est ensuite concentrée sur les mécanismes neuronaux en jeu, qui peuvent influencer l’ampleur à la fois de la réaction, la protection et donc de l’infection. L’équipe en est venue à accorder une attention particulière aux neurones MrgprA3, déjà associés à l’immunité et aux démangeaisons. Différentes expériences révèlent que :
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l’activation de ces neurones bloque l’entrée des parasites et inhibe également leur dissémination dans le corps ;
- les modèles souris privées du gène MrgprA3 présentent une augmentation de l’infection parasitaire
- l’activation de MrgprA3 augmente le nombre de macrophages dans la peau, des globules blancs qui viennent « engloutir » les éléments infectieux ;
- les neurones se révèlent enfin fonctionnellement liés à la réponse des macrophages car l’activation de ces neurones, l’infection par le ver n’est plus du tout bloquée ;
- en aval de l’activation de MrgprA3, un neuropeptide, CGRP, est libéré, qui joue un rôle clé dans la communication neurone-cellule immunitaire (macrophage) ;
- le neuropeptide CGRP agit ainsi comme un messager entre les neurones et les macrophages et cette signalisation déclenche l’activation des cellules immunitaires sur le site de l’infection, ce qui permet de contenir le parasite ;
- le CGRP n’agit pas seul, et la protéine nucléaire IL-33, déjà connue comme un signal d’alarme émis par les cellules endommagées, joue elle-aussi un rôle surprenant et significatif : l’IL-33 dans les macrophages agit plutôt dans le noyau cellulaire et permet aux cytokines pro-inflammatoires comme le TNF d’être exprimées ;
- au point que lorsque l’IL-33 est génétiquement supprimée des macrophages, la réponse protectrice induite par les neurones qui démangent est perdue ;
- tout cet environnement pro-inflammatoire apparait ainsi essentiel pour former une barrière protectrice qui empêche le parasite de progresser plus avant dans le corps.
- En synthèse : les neurones MrgprA3 libèrent le CGRP, qui envoie des signaux aux macrophages, puis l’IL-33 contenue dans les noyaux des macrophages renforce la réponse inflammatoire et contribue ainsi à bloquer l’entrée du parasite.
« Les neurones MrgprA3 orchestrent toute cette défense sous forme de démangeaisons, mais ils ont besoin des macrophages, et plus particulièrement de l’IL-33 qu’ils contiennent, pour déclencher une réponse immunitaire complète ».
En identifiant les molécules que les parasites utilisent pour supprimer ces neurones protecteurs et exploiter ces connaissances pour bloquer plus efficacement les infections cutanées, mais aussi les démangeaisons présentes avec d’autres affections comme l’eczéma ou le psoriasis.
Source: Nature Immunology 1 Oct, 2024 DOI: 10.1038/s41590-024-01982-y MrgprA3 neurons drive cutaneous immunity against helminths through selective control of myeloid-derived IL-33